Captivé par les lettres d’une part et la couleur d’autre part, c’est tout naturellement que ces deux passions se sont associées et ont mûri au fil des ans pour aboutir au mémoire ici présenté.

La couleur et les lettres nous environnent au quotidien. Nous les rencontrons dès que nous ouvrons les yeux, sur l’écran de notre réveil digital tout d’abord, sur les emballages de notre paquet de café ou de notre gel douche ensuite, puis sur les enseignes des magasins et les affiches publicitaires lorsque nous nous rendons à notre travail ou en revenant à notre domicile. Ils sont encore présents sur les plans de notre quartier et les panneaux de signalétique quand nous cherchons à nous orienter, sur notre ordinateur, sur internet, etc. Et pourtant, ces deux univers semblent vouloir garder leur indépendance, sans jamais partager leurs qualités respectives. Qu’elles en sont les raisons ? Est-ce la cause d’un héritage historique trop fortement ancré ou bien au contraire d’une difficulté technologique que personne ne cherche à surmonter ? N’est-il pas une seule application de la couleur qui puisse enrichir la création d’alphabets ? Qu’en est-il de l’expérimentation typographique, ne s’est-elle jamais intéressée à la couleur ?

Thomas L’Excellent - Saubr

Thomas L’Excellent - Saubr

Les prémices de cette réflexion sont à chercher dans une création effectuée au cours de l’année scolaire 2006/07 dans le cadre de mon studio de typographie dirigé par Peter Keller. Encouragé à inventer un caractère résolument nouveau, je me suis lancé dans la conception d’un alphabet nécessitant pour chaque lettre deux couleurs distinctes, et dissociée du fond présent dans une troisième couleur. Au cours de la même année, un second exercice, avec André Baldinger, m’amenait à concevoir un nouvel alphabet bicolore à partir de la définition d’une matrice. Dans ce caractère, la couleur est employée pour distinguer les éléments importants de chaque lettre. En remontant plus loin dans mes archives personnelles, j’ai pu retrouver plusieurs travaux jouant à tour de rôle avec les lettres et la couleur, et les mixant même quelque fois.

Ces diverses réalisations, vraisemblablement mal comprises par certains typographes professionnels et des initiés qui souhaitaient tester ces caractères en noir sur blanc, m’ont poussé à m’interroger sur les différents liens pouvant exister entre la création de caractères et la couleur, et plus particulièrement sur la conception polychromatique d’alphabets. Stimulé dans un premier temps par les œuvres de Cassandre (le Bifur, l’affiche pour l’apéritif pi Volo), ou encore celles de Pierre di Sciullo (le Zèbre, le Minimum, le Sonia), ce mémoire explore historiquement, techniquement et esthétiquement l’apport de la couleur dans le monde rigoureux de la typographie.

A.M. Cassandre - Affiche pour l’apéritif Pivolo (1924)

A.M. Cassandre - Affiche pour l’apéritif Pivolo (1924)


Plan du mémoire

I. Notions élémentaires
En guise d’ouverture, ce mémoire s’interrogera sur ses deux éléments constitutifs : la typographie d’abord et la couleur ensuite. On essaiera de comprendre dans un premier temps l’état actuel de la typographie, héritage encore vivant de milliers d’années d’évolution et d’histoire ; puis on cherchera à voir comment la couleur a su s’émanciper de sa fonction représentative et, avec l’apparition de l’art abstrait, a cherché à se définir et parler son propre langage.

II. De l’écriture à la typographie
Ce chapitre sera suivi par une étude des liens ayant existés entre l’écriture et la couleur chez différents peuples et à différentes époques. Nous nous interrogerons ensuite sur l’influence des techniques sur la création typographique. Enfin, pour terminer cet aperçu des contraintes matérielles, on dressera la liste des formats de police et les logiciels de création disponibles sur ordinateur, en montrant leurs capacités et leurs limites.

III. Conception polychromatique
La dernière partie de ce mémoire répertoriera les caractères créés en plusieurs couleurs, et établira une classification de ces alphabets en fonction de leurs caractéristiques. Les catégories ainsi établies permettront une réflexion sur les intérêts de concevoir une fonte en couleurs.

Conclusion
Enfin, ce mémoire sera clôturé par une hypothèse sur l’évolution possible de la typographie colorée et l’apprentissage tiré de l’ensemble de ces recherches.