Arrêtons-nous quelques instants sur ses valeurs transmises par la typographie de labeur. Si les alphabets qui vont alimenter ce mémoire n’appartiendront vraisemblablement pas en majorité à cette catégorie, analyser leurs caractéristiques nous permettra peut-être d’esquisser les raisons qui semblent actuellement limiter la création et l’expérimentation typographiques. Ainsi les puristes diront, comme le souligne Lewis Blackwell, que la typographie est un moyen de connexion de la pensée qui peut se prétendre l’architecture de notre langage écrit. Pas étonnant donc que les dessinateurs de caractères méticuleux souhaitent s’effacer derrière leurs créations. Celles-ci n’auraient en réalité que l’unique et noble but de transmettre le message tel que voulu par son auteur. Mais ce message est-il nécessairement monochrome ? Les lettres doivent-elle impérativement se dissimuler derrière le contenu des mots auxquels elles donnent vie ?
Marinetti dans son manifeste futuriste déclare en 1909 avoir l’intention de faire redoubler la force expressive des mots et souhaite ainsi employer dans la même page trois ou quatre encre de couleurs différentes et vingt caractères différents s’il le faut. On retrouve cette envie de jouer avec la forme du texte chez les dadaïstes (1916-25), plus tôt encore dans les jeux de mots typographiques de Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles en 1865, chez Stéphane Mallarmé bien sûr, avec son coup de dés lancé en 1897, mais aussi dans les Calligrammes d’Apollinaire publiés en 1918. Plus tard, Moholy-Nagy, responsable du cours préliminaire de typographie au Bauhaus, souhaitant que les pages de texte gris se transforment en narrations colorées, militera en faveur de l’introduction d’une tension très forte dans les mises en page, en faisant contraster les éléments visuels tels que multicolore/gris.
Tous ces exemples n’ouvriraient-ils pas la porte à une collaboration entre le fond et la forme ? La forme, c’est-à-dire la lettre, n’a-t-elle pas les facultés d’amplifier le message que souhaite faire passer le fond ? La couleur n’est-elle qu’une fantaisie purement décorative, une aspiration éphémère qui ne pourrait que dénaturer un texte en corrompant ses lettres ?