Avant de devenir typographiques, les écritures ont traversé les âges et se sont développées, lentement, mais continuellement. Encore aujourd’hui, les caractères évoluent, de nouveaux s’inventent, voire refont surface tel l’arrobase. Aussi loin que l’on remonte dans les siècles, dans les millénaires, on s’imagine mal la place que la couleur a pu jouer dans la construction de notre langage écrit. Pourtant quelques exemples intéressants existent et méritent d’être cités dans ces pages.
Il est ainsi surprenant d’apprendre que dans le système d’écriture développé par les Aztèques, les couleurs constituent un élément à part entière : chacune possède une valeur phonétique, se prononce et se combine avec d’autres éléments. Les phéniciens, onze siècle avant notre ère, écrivait aussi bien à l’encre noire que rouge. Les Égyptiens utilisaient eux aussi la couleur rouge, comme on peut l’observer sur le Papyrus Prisse, considéré comme le plus ancien livre égyptien connu. Sur d’autres inscriptions égyptiennes, cette couleur est employée pour ponctuer le texte tracé en noir. Chez les romains également le rouge est utilisé, probablement comme moyen distinctif.
Au Moyen-Âge, la ponctuation telle que nous la connaissons n’est pas encore complètement définie. La couleur rouge est alors utilisée pour marquée les initiales, les paragraphes, les lignes introductives, les titres, etc., c’est-à-dire tous les endroits du texte correspondant à ce qui est appelé la rubrique. Il est par ailleurs remarquable que le mot rubrique possède la même racine latine, ruber, que le terme rouge.
Une autre application de la couleur mérite notre attention. Il s’agit de la communication maritime. Elle s’effectue à l’aide de pavillons et de bannières et déploie un langage de forme et de couleurs très efficace. Son invention remonterait au moins au Ier et IIe millénaire av. J.-C. Les blasons ou encore les drapeaux constituent d’autres exemples de langages parallèles, codifiés, qui montrent la puissance exemplaire de la couleur.
Si l’on regarde de plus près comment est définie l’écriture, on s’imagine mal ce qui pourrait limiter la couleur (si ce n’est une contrainte technique). En effet, comme le remarque Roxane Jubert dans Graphisme, Typographie, Histoire, l’image semble avoir été partout à l’origine de l’écriture. Or l’image la plus évidente se conçoit-elle en noir et blanc ? Vraisemblablement pas. La définition-même de l’écriture n’omet pas la possibilité de disposer de couleurs : on la présente comme un ensemble de signes pouvant s’organiser spatialement, relever d’un arrangement spécifique, fonctionner comme un code et inscrire un langage.
Pourtant la technique n’a pas toujours cherché à s’éloigner de la couleur. Déjà quelques exemplaires de la Bible à 42 lignes de Gutenberg expérimentent une seconde impression à l’encre rouge aux endroits du texte correspondant à la rubrique. Peu de temps après, Johannes Fust et Peter Schöffer prolongent le travail de Gutenberg, et inaugure véritablement l’impression en couleur. Le Psaultier de Mayence qu’ils éditent emploie les couleurs bleu et rouge pour les initiales et le noir pour le texte.
Mais qu’en est-il aujourd’hui ? À l’heure où la création est presque intégralement informatisée, quelle attitude adopte les concepteurs visuels ? S’il est impensable de nos jours de travailler sans connaître un minimum son ordinateur et ses logiciels, est-il possible de se contenter des simples possibilités que les éditeurs nous proposent, ou au contraire, les créateurs ont-ils à s’approprier et adapter leurs outils à leurs besoins ? La prochaine partie tente de répondre à ses questions et propose un aperçu des capacités offertes par les machines actuelles.